L’Association des Jeunes Émergents Volontaires (AJEV) a-t-elle été victime de son propre succès ? C’est en tout cas l’analyse défendue par Ike Ngouoni, ancien conseiller spécial et porte-parole de la présidence gabonaise, lors de son entretien du 18 mars sur la plateforme SWDecrypte.
Au cœur du débat, une question cruciale : l’AJEV a-t-elle réellement eu l’influence tentaculaire qu’on lui attribue dans la gestion du pays, ou a-t-elle été le bouc émissaire d’un système bien plus vaste ?
Une pieuvre… ou une exagération médiatique ?
D’entrée de jeu, Ike Ngouoni démonte l’idée selon laquelle l’AJEV aurait été une “pieuvre” omniprésente dans l’appareil d’État. “Ce n’est pas vrai de dire que l’AJEV était une pieuvre. Non. Non. Je vous dis non”, assène-t-il avec fermeté.
Pour lui, la réalité a été grossièrement exagérée, notamment par une certaine narration médiatique. Il met en perspective le faible nombre de membres de l’AJEV placés à des postes clés par rapport à d’autres figures de l’ancien régime, restées en place bien plus longtemps. “Il y a des gens qui sont restés là pendant 14 ans, 20 ans. Mais on n’en parle pas”, martèle-t-il.
L’idée d’une prise de contrôle absolue de l’AJEV ne tiendrait donc pas la route. Si des membres de cette association ont été nommés à des postes stratégiques, ils ne l’ont été que durant une période de 18 mois, un laps de temps bien trop court pour bouleverser les équilibres de l’État.
Un succès qui dérange ?
Pour Ike Ngouoni, l’AJEV a servi la vision du Chef de l’État en son temps, et c’est bien cela qui aurait dérangé. Le dynamisme et l’ascension fulgurante de ses membres auraient suscité des jalousies et des résistances au sein du système, précipitant leur chute.
Ce narratif met en lumière un aspect clé du fonctionnement des sphères de pouvoir : l’aversion pour le changement. L’émergence d’une nouvelle génération d’acteurs, incarnée par l’AJEV, aurait bousculé des intérêts bien établis. Ceux qui ont vu leur influence menacée auraient donc orchestré une campagne visant à diaboliser l’association et à la présenter comme un groupe mafieux ayant infiltré l’État.
Derrière l’AJEV, un système plus vaste
L’argument central d’Ike Ngouoni est clair : faire porter à l’AJEV seule le poids des erreurs d’un système en place depuis des décennies est une hérésie. Il rappelle que d’autres figures, restées bien plus longtemps aux commandes, ont exercé une influence bien plus forte sur la gouvernance du pays. Pourtant, celles-ci semblent avoir été épargnées par les critiques qui ont accablé l’AJEV.
Ce constat soulève une question fondamentale : l’AJEV était-elle réellement l’entité toute-puissante qu’on a décrite, ou simplement un élément plus visible d’un ensemble bien plus complexe ?
Une réécriture de l’histoire ?
L’interview d’Ike Ngouoni met en lumière un mécanisme classique en politique : la réécriture de l’histoire par les vainqueurs. Une fois tombée en disgrâce, l’AJEV a été réduite à une caricature, un symbole à abattre, permettant d’occulter les véritables responsabilités.
Loin d’être une simple défense, cette analyse pose une question plus large sur la manière dont les récits politiques sont construits et manipulés. Qui décide des coupables et des innocents dans la grande mécanique du pouvoir ? Et surtout, quelles leçons tirer de cette affaire pour l’avenir de la gouvernance au Gabon ?
Si l’AJEV a été un acteur du pouvoir, elle n’en a pas été le seul moteur. Et comme le souligne Ike Ngouoni, il serait peut-être temps d’élargir le champ des responsabilités plutôt que de se concentrer sur un seul bouc émissaire.