Le 20 mars 2024 restera à jamais gravé dans la mémoire de l’industrie pétrolière gabonaise. Ce jour-là, une explosion sur la plateforme offshore de Becuna, exploitée par Perenco, a coûté la vie à six employés. Aujourd’hui, un rapport accablant de l’Environmental Investigation Agency (EIA) accuse la multinationale d’avoir sciemment mis en péril la vie de ses salariés. Le drame aurait pu être évité. Il ne l’a pas été. Et six familles en paient aujourd’hui le prix.
Un avertissement ignoré
Deux semaines avant la tragédie, des signaux d’alerte s’étaient pourtant manifestés : deux remontées incontrôlées de pétrole brut, des équipements de sécurité défectueux, une plateforme vieillissante… Mais rien n’a été fait. L’EIA, organisation réputée pour ses enquêtes rigoureuses sur les crimes environnementaux et industriels, dénonce dans un rapport explosif « une négligence criminelle » et une « pression managériale féroce venue de Paris et Londres » pour maintenir la production, au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires.
Le 20 mars, en pleine opération de workover — une procédure complexe de maintenance des puits —, l’irréparable s’est produit : une explosion suivie d’un incendie ravageur. Quatre Gabonais, un Camerounais et un Français ont perdu la vie. Pour beaucoup, cette tragédie n’est pas un accident, mais le symptôme d’un système défaillant, voire mortifère.
Un système sous tension
Pour l’Organisation nationale des employés du pétrole (ONEP), ce drame met en lumière une précarisation alarmante du secteur. Contrats à durée déterminée, sous-traitance opaque, salaires irréguliers, cotisations sociales non versées : les dérives sont nombreuses et aggravent la vulnérabilité des travailleurs, transformant chaque mission sur les plateformes en pari quotidien avec la mort.
Le ministère gabonais du Pétrole n’a pas minimisé l’événement, le qualifiant de « plus grave accident de l’histoire pétrolière du Gabon ». Mais pour les familles endeuillées et les syndicats en colère, les mots ne suffisent plus : il faut des actes. Des réformes. Des sanctions.
Perenco sur la sellette
Deuxième producteur pétrolier français derrière TotalEnergies, Perenco traîne derrière elle un passif controversé. Exploitation de champs en fin de vie, technologies invasives, pollution chronique, relations tendues avec les populations locales : l’entreprise fondée par Hubert Perrodo et Jean-Michel Runacher est habituée aux critiques. Mais cette fois, il ne s’agit plus seulement d’environnement. Il s’agit de vies humaines.
Une question d’éthique et de souveraineté
Au-delà du drame, ce dossier soulève une question plus vaste : le Gabon, riche en ressources naturelles, doit-il continuer à fermer les yeux sur les méthodes de certaines multinationales sous prétexte de rentabilité ? Jusqu’à quand acceptera-t-on que des vies gabonaises soient sacrifiées sur l’autel du baril ?
Le gouvernement a promis l’ouverture d’un dialogue avec les partenaires sociaux. C’est un début. Mais il faudra plus : des audits indépendants, des sanctions contre les responsables, une refonte des normes de sécurité, et surtout, une reprise en main souveraine de l’exploitation de nos ressources.
Une tragédie de trop
Ce drame est une alerte. Un cri. Un appel à repenser les modèles d’exploitation, à protéger les travailleurs, à rendre des comptes. Si le Gabon veut éviter d’autres catastrophes, il devra avoir le courage d’imposer des règles claires, de faire respecter la vie au-dessus du profit, et de rappeler, une bonne fois pour toutes, que l’or noir ne peut pas justifier le sang versé.
La plateforme de Becuna est aujourd’hui silencieuse. Mais les voix des victimes, elles, ne doivent pas l’être. Ce drame n’est pas une fatalité : c’est une responsabilité. Et elle doit être assumée.